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Le blog d'Eva Roque

Je l'ai croisé...

Je l'ai croisé...

La première fois, ce fut un samedi matin. Un jour de janvier 2006. Je découvrais le ciel bas et le froid parisien. Je découvrais aussi la chaleur d'une librairie. Un lieu perdu sur une grande place du quartier. Un peu caché. Comme pour préserver l'endroit d'un trop plein de curieux.

Pousser la porte en bois. Entendre les craquements du parquet. Lever les yeux vers des échelles menant au sommet des bibliothèques. Des livres. Partout. Dans chaque recoin. Certains estampillés "Coup de coeur". Et une voix "Vous vous voulez un café?".

Je n'osais dire oui. De peur de renverser quelques gouttes sur les précieux livres. La tasse de porcelaine était déjà pourtant prête. Le café chaud. Rassurant. J'étais seule au monde, les yeux perdus sur ses étagères débordant de mots. Un plaisir infini.

Les samedis se sont enchaînés. J'ai de nouveau poussé la jolie porte de bois. Découvert des auteurs. Partagé mes lectures avec mes conseillères, libraires attentives et attentionnées, avec des gens du quartier, des touristes de passage. Autour de l'étal, les sourires s'affichent, les goûts des uns et des autres deviennent des portes ouvertes sur d'autres cultures.

 

C'était encore un samedi, quelques semaines après la rentrée littéraire et ses centaines de livres qui se déversent. Trop de livres ne tuent jamais le livre mais provoquent chez moi un réflexe défensif. Préfèrer les classiques ou des pépites qui n'ont pas eu droit à un papier dans les magazines du moment et laisser de côté les futurs best-sellers.

Sauf ce jour-là.

La fan attitude m'est étrangère. Dans tous les domaines. Et depuis toujours. Mais je concède avoir une admiration plus intense pour quelques artistes. Lui en fait partie. Un auteur dont j'ai lu une grande partie de l'oeuvre. Il a sa place sur mes rayons. Pas question de se jeter sur un des ses livres le jour de sa sortie, ou le suivre sur un salon du livre pour une dédicace. Non. Il est juste un fournisseur de nourritures terrestres que j'affectionne.

Son nouveau roman était là, devant moi. J'hésitais. "Vous devriez céder. Vous allez aimer. C'est sans doute un de ses meilleurs" ai-je entendu. Ma libraire... Elle qui connaît les goûts de chacun. Ne cède pas aux effets de mode. Et tente de valoriser les auteurs. "Vous savez que Lui habite dans le quartier ?"

-"Ah non... Je pensais qu'il vivait en Bretagne".

-"Oui, mais il vient de déménager. Il est métamorphosé physiquement".

Sur la quatrième de couv, il affiche son visage un peu rond. Cette barbe de plusieurs jours.

Je connais sa silhouette, son style vestimentaire, sa voix. Sa présence médiatique lui confère une certaine notoriété. C'est étrange d'ailleurs comme le mythe de l'écrivain, être solitaire, que l'on imagine devant une page blanche ou l'écran d'un ordinateur persiste et s'efface à la fois. Avant, les écrivains n'avaient pas de visage si ce n'est cette photo au verso d'un livre. Une photo que la maison d'édition changeait rarement.

Mais ça c'était avant. La télé est passée par là... La photo a changé. L'auteur est devenu un être médiatisé.

Je suis repartie avec son livre.

Et le temps a passé.

 

Jeudi matin. Ciel bas. Pluie parisienne à laquelle je ne me suis toujours pas habituée. Traverser le quartier à une heure qui m'est étrangère. Exceptionnellement, je ne suis pas encore derrière mon bureau. A quelques mètres de la librairie, je croise un homme. Foulard autour du cou. Visage baissé vers le bitume.

Une fraction de seconde.

Lui.

Lui que je n'avais jamais vu.

Lui qui porte sur son visage tous ses mots (et ses maux).

En une fraction de seconde, j'ai compris. Que c'était lui. Que toutes ces pages noircies étaient un bout de lui. Comme si la nostalgie qu'il décrit si délicatement s'affichait dans chaque ridule. Comme si cette apparition ravivait tous mes souvenirs de lecture.

L'écrivain prenait corps.

Je ne me suis pas retournée.

Seul l'instant, aussi furtif soit-il, comptait.

J'ai simplement souri.  Dans ma tête, une seule phrase résonnait :  "Merci pour ce moment".

 

PS : je ne vous donnerai pas le nom de l'auteur. Cela n'a pas d'importance. Je sais, c'est agaçant...

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Q
Qui c'est ? Juré, j'le dirai à personne. Tonton Jo.
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E
na. Je dis rien. Sourire...